A la Recherche de L'Avenir

Cadres de Référence Intrapsychique, Part 1


[Travail présent pré a un symposium en l’honneur de Jerome D. Frank, M.D., Ph.D., &agrav; l’École de médecine de l’Université Johns Hopkins le 25 mai 1984.]

La recherche sur la psychothérapie à long terme doit, à l’heure qu’il est, se confronter aux questions soulevées par les résultats de la recherche sur la psychothérapie à court terme, qui indiquent le rôle fondamental de facteurs non spécifiques dans la détermination de l’issue du traitement. La psychothérapie à long terme comporte-t-elle des éléments spécifiques qui favoriseraient l’amélioration, éléments différents des facteurs non spécifiques que Frank (1965, 1974, 1976) a décrits de manière si lumineuse et approfondie dans la psychothérapie à court terme? La quête d’une réponse à cette question, qui se fonderait sur la comparaison d’approches psychothérapiques alternatives appliquées à des populations de patients spécifiques et restreintes, est coûteuse en temps et nécessite d’énormes ressources consacrées à la recherche, sans mentionner les difficultés liées à la mise en place de groupes témoins «sans traitement» pendant de longues durées.

La combinaison de recherches sur le processus thérapeutique et de recherches sur le résultat, orientées vers l’évaluation des effets d’interventions spécifiques pendant une brève période de temps, dans le contexte d’une évaluation simultanée à long terme de psychothérapies spécifiques, peut offrir un moyen pour explorer les effets des interventions du thérapeute qui sont spécifiques d’un modèle particulier de psychothérapie, et pour différencier de tels effets de l’arrière-plan des facteurs non spécifiques

Les modèles de psychothérapie à long terme devraient fournir des définitions détailles et précises de leurs techniques, qui pourraient rendre de telles études combinées sur le processus et sur le résultat réalisables. La recherche naturaliste sur la psychothérapie, avec des définitions rétrospectives de techniques qui sembleraient les différencier, pourrait ne plus être une approche viable dans le domaine de la recherche sur la psychothérapie. Dans le même ordre d’idées, les modèles de psychotherapies à long terme devraient fournir des réponses convaincantes à la question de savoir ce qui différencie leur technique du bon sens ordinaire et d’une attitude globalement humaniste, encourageante, acceptante, soucieuse et inspiratrice d’espoir de la part du thérapeute, tous aspects qui caractérisent toutes les psychothàrapies efficaces.

Dans ce qui suit, j’essaie d’illustrer un ensemble de réponses aux questions que j’ai soulevées. J’analyse un type prévalent de psychothàrapie à long terme, à savoir celui fondé sur la théorie psychanalytique. J’énumère des hypothèses théoriques spécifiques qui différencient les principales approches psychanalytiques l’une de l’autre, et les techniques des psychothérapies correspondantes qui les caractérisent. Cette description me conduit à mettre en avant ma propre approche—une théorie psychanalytique spécialisée et sa technique de psychothérapie correspondante, ainsi que l’application de cette technique à une population spécifique de patients, à savoir les patients ayant une «organisation limite de la personnalité». On peut considérer le trouble limite de la personnalité tel qu’il est décrit dans le DSM-III comme un sous-groupe restreint, nucléaire, à l’intérieur de cette organisation de la personnalité plus large et, pour les besoins de cette présentation, comme représentant cette population de patients plus large (voir O. Kernberg, 1984).

Ce que je tente est, en d’autres termes, une illustration de la méthode générale proposée, consistant à décrire la théorie qui sous-tend une technique spécifique de psychothérapie, et cette technique elle-même, la différenciant implicitement des effets non spécifiques de la psychothérapie.

Cadres théoriques alternatifs a l’intérieur de la psychanalyse et leurs implications techniques
Permettez-moi de définir aussi brièvement que possible mon cadre théorique a l’intérieur de la psychanalyse, et de le mettre en rapport avec mon approche technique des patients—théorie et technique faisant partie de la psychanalyse traditionnelle et de la psychothérapie psychanalytique, modifiées pour des patients ayant une organisation limite de la personnalité. Au risque de simplifier les problèmes a l’excès, je vais tenter de définir mon cadre théorique en le comparant à deux approches alternatives qui peuvent être conçues comme des pôles opposés a l’intérieur du large spectre de la théorisation psychanalytique: mes vues occupent une zone intermédiaire a l’intérieur du spectre délimité par ces polarités.

Un pôle de la théorie psychanalytique est constitué par ce qui pourrait être appelé la psychologie du moi traditionnelle, et il se centre sur des concepts de la théorie des pulsions, du modèle structural et des conflits intrapsychiques inconscients exprimés par la pulsion et la défense. Le deuxième cadre théorique de référence, à un point polaire opposé de ce spectre, est la théorie psychanalytique des relations d’objet, d’orientation interpersonnelle ou culturaliste. Le troisième point de vue, intermédiaire, représente par mon approche, est ce que j’ai appelé une approche «psychologie du moi relations d’objet». Comment ces trois approches psychanalytiques diffèrent-elles sous l’aspect de leur théorie fondamentale de la motivation, de leur théorie de la structure intrapsychique et de leur théorie de la technique psychanalytique?

Psychologie du Moi Traditionelle
Les représentants principaux de cette approche sont Hartmann, Kris et Loewenstein (H. Hartmann, 1964; H. Hartmann, E. Kris et R. M. Loewenstein, 1964) et Rapaport (1960, 1967). Leurs défenseurs actuels principaux sont Arlow et Brenner (1964). Cette approche émane directement de la métapsychologie de Freud (1915a, 1915b, 1923, 1926), en particulier de sa théorie structurale et de sa théorie duelle des pulsions, au sens où il s’agit d’un système fondamental de la motivation. Ce cadre théorique postule que les pulsions déterminées biologiquement, la libido et l’agressivité, sont représentées par des pulsions instinctuelles qui sont situées dans le ça;, qui s’attachent aux objets et qui entrent en conflit avec le moi, qui est l’organe d’adaptation à la réalité, le siège des mécanismes de défense dirigés contre ces pulsions instinctuelles. Les relations mutuelles du moi et du ça et, plus tard, celles impliquant aussi le surmoi, déterminent différentes issues aux conflits intrapsychiques inconscients entre les motions pulsionnelles instinctuelles et les opérations défensives, à savoir des formations de compromis pulsion défense exprimees dans la formation de symptômes.

Le modèle structural de cette approche théorique est représenté par la structure intrapsychique tripartite constituée du moi, du surmoi et du ça. Les vicissitudes des configurations de la pulsion et de la défense s’expriment principalement sous forme de conflits intersystémiques impliquant ces trois instances psychiques ainsi que la réalité extérieure. Le complexe d’&#338dipe est la constellation conflictuelle dominante qui reflète l’acmé du développement des pulsions sexuelles et agressives, et ce complexe est impliqué de manière cruciale dans la mise en place du surmoi, qui devient lui aussi une structure intrapsychique.

Cliniquement, toutes les configurations pulsion défense impliquent des désirs inconscients spécifiques qui reflètent des motions pulsionnelles sexuelles et agressives enracinées dans des fantasmes concrets, inconscients, en rapport avec les objets œdipiens. Ces relations d’objet sont comprises en termes de leur investissement par des motions pulsionnelles sexuelles et agressives et par les vicissitudes de ces motions pulsionnelles, comme la fixation, la régression et la progression le long de diverses lignes de développement, et par la fusion de ces pulsions.

L’approche technique centrale fondée sur cette vision théorique consiste en l’analyse systématique des configurations pulsion-défense, surtout mais pas exclusivement au niveau du transfert. On suppose que l’interprétation des défenses permettra une émergence de plus en plus directe et non déformée des pulsions instinctuelles provenant du moi conscient et le remplacement progressif de pressions instinctuelles provenant du ça, auxquelles s’opposent des défenses, par l’expansion du moi, à mesure que celui-ci modifie et intègre ces besoins instinctuels infantiles à la lumière de son développement et de ses capacités adultes. Ce qui est implicite dans cette approche théorique, c’est la supposition que, pour les patients qui n’ont pas accèdé à une structure intrapsychique tripartite intégrée et qui n’ont pas été cap abies de progresser vers la domination de leurs conflits œdipiens, la psychanalyse est probablement contre-indiquée ou nécessite une modification. Au contraire, chez tous les patients analysables, la prééminence des conflits $#339;dipiens et la consolidation de la structure tripartite peuvent être supposée.

Théorie Interpersonelle des Relations D’Objet
Le deuxième cadre théorique de référence à intérieur de la psychanalyse est ce qu’on pourrait appeler la théorie interpersonnelle des relations d’objet, en particulier telle qu’elle est illustrée par les théories de Sullivan (1953, 1962), de Fairbairn (1952), de Guntrip (1961, 1968, 1971) et de Kohut (1971, 1977). Je dois ajouter que Fairbairn mérite être cite ici seulement à cause de son approche théorique de la motivation. Sa théorie structurale et son approche clinique sont plus proches du cadre «psychologie du moi relations d’objet ». L’attention que Kohut porte au développement du soi, a l’opposé de l’insistance sur les relations interpersonnelles réciproques, le différencie du reste de ce groupe; hormis cela, il est remarquablement en accord avec les caractéristiques générales de cette approche. Bien que des différences importantes et parfois même fondamentales existent entre ces théoriciens, je pense qu’ils partagent les caractéristiques générales suivantes de la théorie interpersonnelle des relations d’objet.

Toutes ces théories mettent l’accent sur les relations interpersonnelles qui se mettent en place dès la petite enfance, comme système motivationnel central. Le nourrisson, l’enfant et plus tard l’adulte sont motives non par des pulsions, mais par la recherche de bonnes relations d’objet, principalement avec la mère, puis avec d’autres objets parentaux, la fratrie et les pairs. L’effort vers des relations satisfaisantes avec d’autres peut être déterminé biologiquement, mais constitue, en soi, la force motivationnelle dominante. Que l’on considère que la vie psyché que est fondée sur les relations interpersonnelles (Sullivan), que la libido est essentiellement à la recherche d’un objet (Fairbairn), ou que le soi se consolide en relation avec des soi objets satisfaisants (Kohut), la quête de relations aimantes avec d’autres et avec leurs représentants intrapsychiques est primordial, et l’agressivité n’est que secondaire a la frustration précoce, répétée, de ces besoins fondamentaux.

La structure psychique est déterminée par les relations d’objet internalisées. Les premières relations d’objet internalisées subissent peu de changement au cours des ans et sont réactivées au cours de relations d’objet plus tardives—y compris les développements transférentiels—pendant toute la vie. Le moi, le surmoi et le ça sont soit des organisations de relations d’objet internalisées, soit la structuration même d’un soi, soutenu et renforcé par un monde environnant d’objets internalisés, de représentations d’objet ou de soi objets, qui sont les structures fondamentales de la psyché.

La théorie fondamentale de la technique, dans cette approche, implique la possibilité de réactiver des relations d’objet passées, pathogènes, dans le transfert, et de les examiner à la lumière d’une nouvelle relation actuelle avec l’analyste. La psychanalyse fournit non seulement l’occasion pour l’analyste de formuler des interprétations, mais, de manière très centrale, il propose une vraie relation nouvelle qui offre un potentiel de guérison dans le contexte de l’analyse de la réactivation chez le patient de relations d’objet pathogènes passées. Typiquement, au sein de cette approche, le contre-transfert joue un rôle prédominant en tant qu’indicateur, non seulement des relations d’objet internalisées passées du patient, mais aussi des fonctions et des vicissitudes de la relation d’objet actuelle nouvellement créée dans la rencontre analytique.

Théorie de la «Psychologie du Moi-Relations D’objet»
La troisième approche psychanalytique, que j’ai identifiée comme occupant une position intermédiaire et que j’ai désignée comme une théorie de la «psychologie du moi-relations d’objet, est représentée par les psychanalystes britanniques Melanie Klein (1945, 1946, 1948, 1952, 1957), Winnicott (1958, 1965) et Sandler (J. Sandler et al., 1962, 1978), et par les Américains Erikson (1950, 1956, 1959), Mahler (1971, 1972, M. Mahler et al., 1968, 1975), Jacobson (1964, 1967, 1971) et moi-même (1975, 1976, 1980, 1984, O. Kernberg et al., 1972). La théorie structurale et l’approche clinique de Fairbairn, comme je l’ai déjà noté, sinon sa théorie de la motivation, appartiennent aussi à ce groupe. Encore une fois, tout en reconnaissant les énormes différences théoriques et techniques entre ces théoriciens, je pense qu’ils partagent tous les caractéristiques suivantes.

En ce qui concerne leur théorie de la motivation, ils adhèrent tous à la théorie dualiste des pulsions de Freud mais considèrent que les pulsions sont indissolublement liées aux relations d’objet. La séparation entre la source, le but et l’objet des pulsions dans la métapsychologie traditionnelle est ainsi considérée comme artificielle. Les motions pulsionnelles sont investies dans les relations d’objet dès la petite enfance, et toutes les manifestations instinctuelles sont, de même, des manifestations de relations spécifiques entre le soi et l’objet sous l’impact d’une certaine motion pulsionnelle, typiquement, un état affectif qui reflète cette pulsion dans cette interaction entre le soi et l’objet. Ma propre formulation théorique proposant que les affects sont le système motivationnel principal, et que les affects, internalisés en tant que cadre affectif des relations d’objet internalisées, sont progressivement organisés dans les pulsions libidinales et agressives, en tant que système motivationnels hiérarchiquement ordonnés, est un développement récent a l’intérieur de cette approche générale, mais la position centrale des affects en tant que motions pulsionnelles est commune a tout ce groupe.

Concernant le concept de structure intrapsychique, ce groupe est d’accord pour dire que l’internalisation de relations dyadiques précoces avec la mère sous l’impact de motions pulsionnelles libidinales et agressives donne naissance à des relations dynamiques entre les représentations de soi et d’objet, qui établissent des interactions réelles et fantasmatiques entre le soi et l’objet. En d’autres termes, toutes les internalisations sont initialement dyadiques, et les polarités dyadiques des représentations de soi et d’objet sous l’impact de différents états affectifs sont les blocs de construction de ce qui constituera en fin de compte le ça, le moi et le surmoi. Tous ces théoriciens insistent sur les conflits préœdipiens et sur leur internalisation au sein de la matrice des relations d’objet, et sur la condensation des représentations intrapsychiques des conflits préœdipiens avec les relations d’objet de l’étape œdipienne du développement.

Concernant l’approche technique de ce groupe, l’analyse du transfert est, s’il est quelque chose, un élément de préoccupation encore plus central ici que dans les autres approches mentionnées. L’analyse du transfert consiste à analyser la réactivation dans l’ici et maintenant de relations d’objet internalisées passées; et l’analyse de relations d’objet internalisées passées dans le transfert constitue, en même temps, l’analyse des sous-structures constituantes du moi, du surmoi et du ça et de leurs conflits intra- et interstructuraux. Par opposition au groupe de la théorie des relations d’objet interpersonnelles, les relations d’objet internalisées sont ici conçues comme reflétant moins directement des relations d’objet réelles du passé. Plutôt, elles reflètent une combinaison d’internalisations réalistes et fantasmatiques, et souvent hautement déformes de telles relations d’objet du passe, sous les effets de l’activation et de la projection de motions pulsionnelles instinctuelles. En d’autres termes, il existe une tension dynamique entre l’ «ici et maintenant» qui reflète une structure inter psychique, d’un côté, et les déterminants génétiques inconscients «là-bas et autrefois » dérivés de l’histoire developpementale passée réelle.

A l’intérieur de l’approche de la «psychologie du moi-relations d’objet», les caractéristiques structurales de la psychopathologie se différencient en celles qui sont caractéristiques des patients souffrant états psychotiques, limites et névrotiques, avec des variations dans la technique, dans le diagnostic et dans le maniement thérapeutique des relations d’objet réactivées dans de telles conditions préalables, structurales, différentes.